048 | Quand la géographie devient abstraite, 2020

Quand la géographie devient abstraite, 2020,courtesy Red Sea Museum, Jaddah.

Quand la géographie devient abstraite, 2020(detail),courtesy Red Sea Museum,Jaddah.

Quand la géographie devient abstraite, 2020(detail),courtesy Red Sea Museum,Jaddah.

Comment percevait-on le monde au XIᵉ siècle ?
Comment notre regard sur l’espace, les limites et les horizons s’est-il métamorphosé au fil des siècles ?
À travers 68 dessins à l’aquarelle, cette proposition invite à réapprendre à voir. Elle convie le regard contemporain à se laisser troubler par la vision du monde qu’Al-Idrissi(1), au XIIᵉ siècle, déploya dans son ouvrage نزهة المشتاق في اختراق الآفاق(2). Chaque aquarelle devient alors une fenêtre ancienne, un éclat d’un monde pensé autrement, où les contours du réel se dessinaient selon la sensibilité d’un géographe arabe qui osa cartographier l’inconnu en l’emplissant d’imagination, de savoirs et de vent lointain.
Ces fragments de cartographie sont unis par de fines cordes noires, comme des lignes de force ou des chemins secrets, convergeant vers un globe de cristal de quinze centimètres de diamètre. Ce cœur translucide, posé au centre, matérialise la tension entre le passé et le présent, entre les formes anciennes du monde et celles que nous avons, aujourd’hui, érigées en évidence. Il rappelle que la carte n’est jamais neutre : elle est un récit, un geste de pensée, une manière de poser l’humanité dans l’immensité.
L’un des aspects les plus fascinants chez Al-Idrissi demeure l’orientation inversée de ses cartes : le sud y est en haut, le nord en bas. Une simple bascule, et voilà que tout notre imaginaire se fissure. Le monde, retourné comme un sablier, soudain respire autrement.
Alors surgit la question : qui a le pouvoir de dire où se trouve le haut du monde ?
Sur quoi repose notre certitude que le nord doit dominer les cartes, les esprits, les symboles ?
Ces inversions convoquent une méditation sur la géographie, les frontières, les façons dont nous apprivoisons l’espace. Elles révèlent que ce que nous croyons stable — l’orientation, la limite, la distance — n’est peut-être qu’un accord tacite, un langage collectif que d’autres civilisations parlaient différemment.
Et si nous retournions aujourd’hui notre manière de regarder la Terre ?
Si le nord devenait le sud, et le sud devenait le nord ?
Que deviendraient nos certitudes, nos axes, nos horizons intérieurs ?
Peut-être comprendrions-nous alors que le monde n’a pas de haut ni de bas, qu’il ne se laisse jamais saisir d’un seul point de vue, et que c’est nous qui, en le regardant, traçons ses limites autant que ses possibles.
(1) Géographe, cartographe, botaniste et sociologue d’avant l’heure, musulman, Abu Abdallah Muhammad Ibn Muhammad Ibn Abdallah Ibn Idrissi al-Qurtubi al-Hassani (1099-1165) à Ceuta, actuel pied à terre espagnol au Maroc.
نزهة المشتاق في اختراق الآفاق (2) le plus souvent connu sous le nom Tabula Rogeriana est une description du monde et une carte du monde, en 1154 .
Le livre est cité, copié, repris, et commenté dans tout le monde arabo-musulman. Il ne sera largement diffusé qu’après avoir été imprimé – en caractères arabes – à Rome, puis traduit en latin plus de 4 siècles plus tard, devenant une carte de référence pour nombre de grands explorateurs.
Quand la géographie devient abstraite, 2020(detail),courtesy Red Sea Museum,Jaddah.

Quand la géographie devient abstraite, 2020(detail),courtesy Red Sea Museum,Jaddah.