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Mohssin Harraki initie ses recherches sur l’histoire par rapport à l’urgence d’une idée particulière dans le moment présent. Les oeuvres qui en découlent produisent une réinterprétation politisée du présent par le biais de diverses narrations qui transposent et complexifient des idées (événements, personnages, mots, objets de différentes époques) au travers de différents niveaux de lecture qui permettent de se confronter à l’histoire.

Pour son oeuvre Rahatu’L-Aql/Peace of Mind, Hamid al-Din al-Kirmani, Harraki a composé une installation de huit arbres dont les ramifications pointent vers des ampoules, ces dernières étant détournées de leur usage habituel. On trouve à leur surface des inscriptions en arabe comme par exemple “monde-création”, “monde-corps”. À la base de chacun d’entre eux se trouve une pierre qui permet aux différentes branches de se déployer. Ces oeuvres sont la traduction de diagrammes en formes, et l’artiste s’est intéressé à la migration des idées, du savoir et de leur contenu textuel qui est lié à la philosophie, la théologie et la mystique de Hamid al-Din al-Kirmani, un théologien et philosophe perse de la fin du I° millénaire. Plus largement l’exposition invite à réfléchir à la transmission du savoir et au rôle du langage et du mot dans les différentes séquences de notre histoire, et leur potentiel narratif et plastique. On retrouve cette préoccupation dans Débat imaginaire entre Averroes et Porphyre, oeuvre dont l’imagerie emprunte à un manuscrit du XIV°siècle représentant une conversation fictive entre le philosophe islamique Averroes et le philosophe grec Porphyre. Cette image est tapissée au mur, et Harraki joue avec le langage des deux personnages historiques qu’il met en mouvement et juxtapose avec des lettres en néon qui insistent sur une double trame textuelle qui introduit plusieurs référents linguistiques. Plus largement Harraki évoque ici la transmission de la connaissance par le biais d’un dialogue transhistorique entre deux figures de la pensée islamique, qui font écho à la découverte de celle-ci dans l’histoire de l’Occident. L’œuvre d’Averroès était au cœur du débat philosophique médiéval, période à laquelle les traducteurs et les interprètes ont largement introduit différentes voies de passage pour la culture, la science et la philosophie.

Khossouf/Éclipse décline un ensemble de six “feuilles” en béton portant des retranscriptions qui témoignent de l’utilisation par l’artiste de documents provenant de plusieurs sources (textes, dessins notamment). On retrace l’origine de ces sources à l’époque médiévale, et leur similarité témoigne de sujets relatifs à l’astronomie et aux différents mouvements des systèmes solaires. Dans la continuité de Khossouf/Éclipse est présentée dans le sous-sol de la galerie Étoile, une oeuvre qui s’apparente à la forme d’un cube. Elle contient des retranscriptions de dessins et d’interprétations sous la forme de sérigraphies sur des plaques de verre qui donnent forme à l’oeuvre. On trouve au centre de l’oeuvre une lumière qui se réverbère sur ses parois. En rayonnant sa propre lumière, Mohssin Harraki convoque ici un dialogue qui représente les étoiles, l’astronomie et différents référents provenant de l’histoire de la discipline scientifique.

L’ensemble des quatre vidéos Anwar Al-Nujum dans le fond de la galerie participe de ce raisonnement sur la pensée, les cycles et les liens entre différentes philosophies, systèmes de valeurs dans différentes cultures. On observe inscrite en filigrane la manière avec laquelle la langue et ses ramifications peuvent former, délier ou dominer la pensée.

 

Karima Boudou pour l'exposition "Matière grise", 2017 

 

 

Si les photos sont des citations de la réalité apparente, qu’advient-il lorsque des mots, des phrases sont utilisées dans une démarche plastique? Ou encore, lorsque photos et mots sont associées dans une sculpture ou une installation? Que nous dit alors la composition? C’est ce qui me fascine tout particulièrement dans les nouvelles œuvres de Mohssin Harraki, conçues comme un ensemble pour l’exposition à la Galerie Imane Farès. Il s’agit d’une étude du souvenir et de la mémoire à l’aube de ce 21e siècle, d’un temps présent qui plonge ses racines dans un passé très lointain.

Les photos sont un rétroviseur. John Berger a souligné leur analogie à la poésie, à Mnémosyne, déesse de la mémoire, et a montré comment pour les Grecs anciens, la poésie était une forme de narration, un inventaire du monde visible; la poésie se sert d’analogies visuelles pour créer toutes sortes de métaphores. Il cite à cet égard Cicéron à propos du poète Simonide. Selon Cicéron, Simonide –  ou quelqu’un autre – a eu la perspicacité de découvrir que les images les plus complètes dans notre esprit sont formées par les choses captées et conservées par nos sens, et que notre sens le plus aigu est la vue, et que par conséquent, les impressions que nous formons via les oreilles ou la réflexion sont plus faciles à retenir si elles sont aussi transmises au cerveau par les yeux.

‘Ou quelqu’un d’autre’. Cela me fait penser à une autre citation, celle de l’écrivain Eduardo Galeano, particulièrement appropriée aux nouvelles œuvres de Mohssin Harraki : “Sur son lit de mort, Copernic publia le livre qui fonda l’astronomie moderne. Trois siècles auparavant, les scientifiques arabes Muhayad al-Urdi et Nasir al-Tusi avaient généré des théorèmes qui furent importants pour le développement de cette œuvre. Copernic les utilisa, mais sans les citer. En se regardant dans un miroir, l’Europe voyait le monde. Au-delà, il n’y avait rien.”

Les étoiles et les yeux; pour une raison qui m’échappe, Mohssin Harraki me fait aussi penser à l’artiste conceptuel Stanley Brouwn. Que signifie le concept de distance? Les histoires ont un déroulement, comme les hommes. De mot en mot, et nous en faisons mentalement un montage. Ce montage est lié à l’observation de la réalité, mais est déterminé par notre manière personnelle de regarder. Les connexions et les mots peuvent venir de diverses directions. C’est peut-être là le secret d’un dialogue, mais aussi des ambiguïtés de l’Histoire que Mohssin Harraki fait converger et prendre forme dans ses œuvres.

Phillip Van den Bossche pour l'exposition "Matière grise", 2017 

 

 

 

EN

Mohssin Harraki initiates his research on history in relation to the urgency of a particular idea in the present moment. The resulting works produce a politicized reinterpretation of the present through various narratives that transpose and complexify ideas (events, characters, words, objects from different eras) through different levels of reading that allow us to confront history.

For his work Rahatu'L-Aql/Peace of Mind, Hamid al-Din al-Kirmani, Harraki composed an installation of eight trees whose branches point towards bulbs, the latter being diverted from their usual use. Inscriptions in Arabic can be found on their surface, such as "world-creation," "world-body." At the base of each tree, there is a stone that allows the different branches to unfold. These works are the translation of diagrams into shapes, and the artist is interested in the migration of ideas, knowledge, and their textual content linked to the philosophy, theology, and mysticism of Hamid al-Din al-Kirmani, a Persian theologian and philosopher from the late 1st millennium. More broadly, the exhibition invites us to reflect on the transmission of knowledge and the role of language and words in the different sequences of our history, and their narrative and plastic potential. This concern is also found in "Imaginary Debate between Averroes and Porphyry," a work that borrows imagery from a 14th-century manuscript representing a fictional conversation between the Islamic philosopher Averroes and the Greek philosopher Porphyry. This image is displayed on the wall, and Harraki plays with the language of the two historical figures, animating and juxtaposing them with neon letters that emphasize a double textual framework introducing multiple linguistic references. More broadly, Harraki here evokes the transmission of knowledge through a transhistorical dialogue between two figures of Islamic thought that resonate with its discovery in the history of the West. Averroes' work was at the heart of the medieval philosophical debate, a period in which translators and interpreters widely introduced different paths for culture, science, and philosophy.

Khossouf/Éclipse presents a set of six concrete "leaves" bearing transcriptions that testify to the artist's use of documents from various sources (texts, drawings, etc.). The origin of these sources can be traced back to the medieval period, and their similarity reflects subjects related to astronomy and the different movements of solar systems. In continuation of Khossouf/Éclipse, an artwork resembling a cube is presented in the basement of the Étoile gallery. It contains transcriptions of drawings and interpretations in the form of silkscreen prints on glass plates that give shape to the work. In the center of the artwork, there is a light that reflects on its walls. By radiating its own light, Mohssin Harraki here invokes a dialogue representing stars, astronomy, and different references from the history of the scientific discipline.

The set of four videos "Anwar Al-Nujum" in the background of the gallery contributes to this reflection on thought, cycles, and connections between different philosophies and value systems in different cultures. Implicitly inscribed is the way in which language and its ramifications can shape, unravel, or dominate thought.

Karima Boudou for the exhibition "Matière grise," 2017

If photographs are citations of apparent reality, what happens when words, phrases are used in a plastic approach? Or when photos and words are associated in a sculpture or installation? What does the composition then tell us? That is what particularly fascinates me in Mohssin Harraki's new works, conceived as a whole for the exhibition at Galerie Imane Farès. It is a study of memory and remembrance at the dawn of this 21st century, of a present time that plunges its roots into a very distant past.

Photographs are a rearview mirror. John Berger highlighted their analogy to poetry, to Mnemosyne, the goddess of memory, and showed how, for the ancient Greeks, poetry was a form of storytelling, an inventory of the visible world; poetry uses visual analogies to create all sorts of metaphors. In this regard, he quotes Cicero about the poet Simonides. According to Cicero, Simonides—or someone else—had the insight to discover that the most complete images in our minds are formed by things captured and preserved by our senses, and that our sharpest sense is sight, and therefore, the impressions we form through our ears or reflection are easier to remember if they are also conveyed to the brain through the eyes.

"Or someone else." This reminds me of another quote, from writer Eduardo Galeano, particularly relevant to Mohssin Harraki's new works: "On his deathbed, Copernicus published the book that founded modern astronomy. Three centuries earlier, Arab scientists Muhayad al-Urdi and Nasir al-Tusi had generated theorems that were important for the development of this work. Copernicus used them, but without citing them. Looking at himself in a mirror, Europe saw the world. Beyond that, there was nothing."

Stars and eyes; for some reason that eludes me, Mohssin Harraki also reminds me of conceptual artist Stanley Brouwn. What does the concept of distance mean? Stories have a progression, like humans. From word to word, we mentally assemble them. This montage is linked to the observation of reality but is determined by our personal way of looking. Connections and words can come from various directions. Perhaps that is the secret of a dialogue, but also of the ambiguities of history that Mohssin Harraki converges and shapes in his works.

 

 

Phillip Van den Bossche for the exhibition "Matière grise," 2017

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