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Généalogies, histoire de l’Islam des Lumières et mathématiques font partie des sujets, souvent engagés, que Mohssin Harraki aborde depuis de nombreuses années. Formé à l’Institut national des beaux-arts de Tétouan, il y a suivi l’enseignement de l’artiste Faouzi Laatiris, enseignement marqué par une veine conceptuelle mais résolument ancré dans le réel. Une esthétique hybride et des principes forts de transmission infusent l’art de toute une génération d’élèves, de Younès Rahmoun jusqu’à Mustapha Akrim et Mohssin Harraki. Ce dernier tient à une pédagogie de l’image, c’est-à-dire que ses œuvres ne cherchent pas à se dissimuler derrière des apparences mais revendiquent une lisibilité conceptuelle (...).
L’étude des dispositifs de lecture d’une image se retrouve au cœur du nouveau corpus d’œuvres présenté par Mohssin Harraki dans l’exposition Illusions. Il y énonce un principe spéculatif simple : telles des cellules qui prolifèrent, les images se phagocytent les unes les autres. À une époque où celles-ci sont omniprésentes, il s’avère toujours plus délicat d’en produire encore et encore. Dans ses nouvelles recherches, il analyse l’histoire de l’image et plus particulèrement l’histoire de la photographie. (...) En liant les problématiques du devenir de l’image à son origine physique, l’artiste a décidé de rassembler un corpus de photographies historiques et, en les retravaillant, de participer à leur réévaluation. Selon Harraki, ses interventions, de l’ordre de celles qu’un chercheur produirait, se concentrent sur « un décalage de la lecture et une réorientation du regard ». Ses photographies (...) sont augmentées de lettrages ou de formes géométriques. Les images sélectionnées montrent ce qui se déroule loin du front militaire, en parallèle des « événements » de la première guerre mondiale. En utilisant les légendes de photographies historiques, Harraki cherche à gommer la distance temporelle qui nous séparent du moment d’énonciation du discours. (...) Ainsi, l’action qu’il revendique se concentre sur un guidage de la vision du spectateur. Par ces schémas et ces signes, Harraki définit une nouvelle image qu’il n’a pas produite physiquement mais qu’il a construite mentalement. Mohssin Harraki emprunte volontiers aux mécanismes de l’optique, de la sociologie ou de la géométrie. (...) Des dispositifs qui se jouent la perception visuelle se retrouvent associés à des images avec lesquelles ils ne partagent aucun lien apparent. L’artiste ne transforme pas uniquement l’image d’un point de vue technique mais il l’enrichit d’une nouvelle ouverture signifiante.
L’histoire de l’émergence des images constitue également l’essentiel de la recherche de la série Descriptions de l’Afrique.
Harraki s’empare d’illustrations réalisées par Léon l’Africain, un explorateur et diplomate musulman du XVIe siècle converti au chris- tianisme. Largement oublié, celui-ci a rédigé La Cosmographia de l’Affrica, un ouvrage descriptif de référence sur l’Afrique (...). Harraki y ajoute de nouvelles strates de signification en reproduisant les illustrations accompagnant le texte sur des parpaings, un support ambivalent. Le parpaing s’est imposé comme un matériau de construction indispensable au Maghreb, se substituant aux ressources locales habituellement utilisées. En choisissant d’utiliser cet élément d’architecture, Harraki met en exergue une nouvelle tradition, celle d’un matériau de la culture bon marché. (...) Pour l’artiste, ce matériau symbolise « l’efficacité coloniale », celle qui par ailleurs tue le savoir-faire local.
Ce texte emprunte le titre d’une exposition collective organisée par Douglas Crimp en 1977, Pictures. Dans un article qui reprend le titre de son exposition et dans lequel il aborde l’activité photographique du postmodernisme, il écrivait : « nous ne sommes pas en quête de sources ou d’origines, mais de structures de signification : derrière chaque image, il y a toujours une autre image ».
Loïc Le Gall, 2019
extraits de Pictures, texte de présentation de l’exposition
« Illusions ». La présence de l’image participe à sa disparition